La traduction de Tintin en chinois s'est généralement faite à partir d'une... autre traduction, ce qui entraîne bien des anomalies historiques, géographiques et culturelles.
Le Lotus Bleu, ce chef-d'œuvre d'Hergé, est la plus populaire des Aventures de Tintin auprès des Chinois. Parmi les 22 volumes, publiés pour la première fois en Chine dans le format original en 2001, celui-ci est toujours le premier épuisé dans les librairies. La fille de Tchang (ou Zhang en graphie moderne) est même venue témoigner, à la télévision nationale, de l'amitié entre son père et Hergé. Les inscriptions chinoises originales de l'album, presque irréprochables, ont été laissées telles quelles. Par contre, tout le texte français a été remplacé par un texte anglais, sinon supprimé, avec parfois quelques absurdités. Ainsi, la Société des Nations à Genève s'est rétroactivement rebaptisée League of Nations, tandis que le sigle SDN a tout bonnement été gommé (p. 60). On remarquera aussi que Mitsuhirato conserve son nom sur la vitrine de sa boutique (p. 8), mais s'appelle Hirano ailleurs. La description que Tintin fait de la Chine vue par les Occidentaux lors de sa rencontre avec Tchang (p. 43) a été légèrement remaniée pour être en même temps plus conforme à la vision chinoise! Tintin retrouvera son ami quelques albums plus tard dans Dingding zai Zhongguo Xizang, c'est-à-dire Tintin au Tibet-Chine des fois que les lecteurs chinois auraient oublié que le Tibet n'est pas un pays étranger (voir ci-dessous pour cet album).
ü Consultez la liste des titres des 22 volumes, en chinois et en français, et la traduction des mots contenus dans ces titres.
La version anglaise de Tintin, qui a servi de base à la plupart des traductions chinoises, est sans doute celle qui s'éloigne le plus de l'original. Ainsi, le jeune reporter Belge devient sujet de la couronne britannique et Moulinsart déménage en Angleterre. Tout cela entraîne une série de transformations plutôt curieuses, sinon absurdes. Le glorieux ancêtre du capitaine Haddock se retrouve corsaire du roi... d'Angleterre. Bruxelles devient Londres, mais on y retrouve toujours sur les murs quelques publicités en français.
La situation la plus étonnante se produit dans l'Île Noire (Hei dao), où Tintin, qui réside en Angleterre, surprend un avion qui fait de la contrebande avec... l'Angleterre. Notre héros franchit ensuite la mer du Nord, sur le traversier Ostende-Douvres, pour aller d'Angleterre en... Angleterre. Hergé voulait peut-être faire un pied de nez à l'occupant allemand de l'époque en expédiant son héros sur un territoire qui résistait à sa domination, mais, dans la traduction, ça se termine plutôt en queue de poisson. Dans les Sept boules de cristal (Qige shuijing qiu), Saint-Nazaire devient Westmouth (Weisitemaosi) et La Rochelle devient Bridgeport (Buliqigang), tandis que les automobiles continuent de rouler sagement à droite, comme sur le continent. Dans Le Sceptre d'Ottokar (Aotuoka wang de quanzhang), si les noms de Charlemagne (Chaliman) et du doge Gradenigo (Geladenige) subsistent (page 2), Saint-Louis est remplacé par un duc anglais.
Tintin au Congo (Dingding zai Gangguo) est plus fidèle à l'œuvre originale d'Hergé. Al Capone le Balafré (ou «Scarface») y est même nommé «le balafulei» à la page 52. Quant aux Babaorum et aux Matuvu, il restent littéralement les Babaolong et les Matuwu. La signature d'Hergé n'est pas effacée à la dernière page, contrairement à ce qui arrive dans L'Étoile mystérieuse.
Dans L'Étoile mystérieuse (Shenmi de liuxing), tout ce qui est français est soigneusement modifié ou gommé, sauf à la page 31 où le navire du capitaine Haddock reprend le nom d'Aurore. Le professeur Calys devient Decimus Foster ou Phostle (Disaimusi Fusite'er) et les inscriptions FERS (Fonds européen de recherche scientifique) sont remplacées par le sigle ESRF tracé de manière bâclée, lorsqu'elles ne sont pas effacées (p. 60). Bien que devenu Anglais, Calys continue à rédiger ses calculs en français (p. 6), mais puisque le principal savant n'est plus Français ou Belge, il faut procéder à des remaniement dans l'équipe du FERS. le professeur Cantonneau est déplacé de l'Université de Fribourg à celle de Paris (p. 14). L'Université de Iéna, dont le nom rappelle fâcheusement une victoire napoléonienne, devient celle de Munich, qui se retrouve en plus du bon côté du Rideau de Fer. Mais le plus curieux est que le professeur Dos Santos de l'Université de Coimbra garde le même visage lusitanien typique mais se voit affecté à l'Université de Canberra qui, comme chacun le sait, fait partie de l'Europe et se retrouve donc sous la juridiction du FERS! Dans la meilleure des hypothèses, la savoureuse panoplie de savants concoctée par Hergé est appauvrie, à moins que les lecteurs chinois les plus observateurs ne considèrent tout simplement notre génie comme un adepte de l'à-peu-près.
La lettre reçue par Tintin à son Hôtel de Vargèse, au début de Tintin au Tibet, permet de boucler la boucle de la « traduction-trahison ». Depuis Hongkong où il réside, Tchang (dont le nom figure dans la colonne de gauche: Hongkong Zhang Zhong[ren]) a pris la peine d'inscrire sur l'enveloppe les deux versions de l'adresse de Tintin. La première, en chinois (langue du lieu d'émission) et l'autre en français (langue du lieu de réception). Si Hergé prouve encore une fois qu'il ne laisse rien au hasard, les traducteurs font preuve de peu de respect pour son œuvre. Non seulement l'adresse française est traduite en anglais, mais Tintin déménage carrément en Grande Bretagne. Et dans le même temps l'inscription chinoise sur l'enveloppe affirme que Tintin n'a pas quitté la Belgique: Dingding xiansheng Biguo Bulusai'er (Monsieur Tintin Belgique Bruxelles). Voilà une lettre qui a dû être surprise d'arriver quand-même à destination et d'éviter ainsi un sort fatal à l'aventure à peine commencée (et au brave Tchang déjà en difficulté). On peut, bien sûr, alléguer que l'immense majorité des lecteurs ne remarqueront jamais l'incohérence engendrée par la traduction, mais c'est une excuse indigne du maître. Enfin, quand l'ouvrage s'adresse maintenant à un public chinois, il y a de quoi y perdre son latin.
Lorsque Tintin part pour le Pérou, le Népal, l'Australie ou quelque autre lieu exotique loin de sa Belgique natale, les lieux géographiques sont par contre respectés. Ainsi, pour les lecteurs chinois, Tintin est un jeune Anglais qui voyage beaucoup à travers le monde, mais qui n'a jamais mis les pieds dans un pays francophone (la Belgique existe-t-elle vraiment après tout?). Cela permet de confirmer l'équation rassurante: Occident = Anglais = McDonald. Après tout, si Hergé était un perfectionniste, on n'est pas obligé de l'imiter.
PS. Le site officiel de Tintin confirme, même dans sa version anglaise, que Moulinsart, théâtre des aventures Le Secret de la Licorne (Milou s'y rend à « pattes » depuis la rue du Labrador) et Les Bijoux de la Castafiore, se trouve bien en Belgique que et que Les Sept Boules de cristal se passe bien en France. En ce qui concerne les autres pays, il ne semble pas y avoir de discordance entre l'œuvre originale et les traductions mentionnées ici.
Mise à jour : Tintin réhabilité
Les 22 albums de Tintin ont fait l’objet d’une nouvelle traduction, irréprochable cette fois, en 2010. Le nouveau traducteur, Wang Bingdong, s’est entièrement basé sur le texte original en français. Plusieurs personnages ont repris leur patronyme original, dont Milou, qui a troqué son nom de Bǎixuě (白雪 = Snowy ) pour celui de Mǐlù (米露).
丁丁历险记 | Les aventures de Tintin |
丁丁在刚果 | Tintin au Congo |
丁丁在美洲 | Tintin en Amérique |
法老的雪茄 | Les Cigares du Pharaon |
蓝莲花 | Le Lotus bleu |
破损的耳朵 | L'Oreille cassée |
黑岛 | L'Île Noire |
奥托卡王的权杖 | Le Sceptre d'Ottokar |
金钳螃蟹贩毒集团 | Le Crabe aux pinces d'or |
神秘的流星 | L'Étoile mystérieuse |
独角兽号的秘密 | Le Secret de la Licorne |
红色拉克姆的宝藏 | Le Trésor de Rackham le Rouge |
七个水晶球 | Les Sept boules de cristal |
太阳的囚徒 | Le Temple du soleil |
黑金之国 | Tintin au pays de l'or noir |
奔向月球 | Objectif lune |
月球探险 | On a marché sur la lune |
卡尔库鲁斯案件 | L'Affaire Tournesol |
红海鲨鱼 | Coke en stock |
丁丁在中国西藏 | Tintin au Tibet |
绿宝石失窃案 | Les Bijoux de la Castafiore |
714航班 | Vol 714 pour Sydney |
丁丁与流浪汉 | Tintin et les Picaros |
丁丁
Dīngding: Tintin
历险记
lìxiǎnjì: aventures
刚果
Gāngguǒ: Congo
美洲
Měizhōu: Amérique
法老
fǎlǎo: pharaon
雪茄
xuějiā: cigare
蓝
lán: bleu
莲花
liánhuā: fleur de lotus
破损
pòsǔn: endommagé, abîmé
耳朵
ěrduo: oreille
黑
hēi: noir, sombre
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dǎo: île
奥托卡
Àotuōkǎ: Ottokar
王
wáng: roi
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quánzhàng: sceptre
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jīn: or
钳
qián: pinces, tenailles, étau
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pángxiè: crabe
贩毒
fàn dú: faire du trafic de drogue
集团
jítuán: groupe, groupement, bloc, clique
神秘
shénmì: mystérieux
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liúxīng: météore, étoile filante
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dújiǎoshòu: licorne
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hào: numéro, (navire)
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mìmì: secret, confidentiel
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hóngsè: rouge
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Lākèmǔ: Rackham
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bǎozàng: trésor, ressources
水晶
shuǐjīng: cristal
球
qiú: balle, boule
太阳
tàiyáng: soleil
囚徒
qiútú: prisonnier
国
guó: pays
奔
bèn: se diriger vers
向
xiàng: tourner vers, vers
月球
yuèqiú: lune
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tàn=xiǎn: explorer
卡尔库鲁斯
Kǎ'ěrkùlǔsī: Calculus (Tournesol)
案件
ànjiàn: cause, procès
红海
Hóng hǎi: Mer Rouge
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shāyú: requin
中国
Zhōngguó: Chine
西藏
Xīzàng: Tibet
绿宝石
lǜbǎoshí: émeraude
失窃
shīqiè: être volé, être cambriolé
案
àn: table, procès, cause, dossier
航班
hángbān: vol régulier
流浪汉
liúlànghàn: vagabond