DOSSIER 4 CINQ FEMMES POUR UN HOMME


 

Avez-vous déjà entendu dire que, à tel ou tel endroit, on compte cinq femmes pour un homme? Ce lieu mythique se trouve tantôt dans une région éloignée (l’Abitibi), tantôt dans une grande métropole (Montréal), ou encore dans une ville pas comme les autres (une capitale administrative comme Québec ou Ottawa). Dans ce dossier, nous vous proposons de tirer les choses au clair et de déterminer si ce paradis — ou cet enfer, selon le point de vue où l’on se place — existe vraiment. Nous en profiterons pour jeter un coup d’œil plus général sur la famille et le mariage.

Il existe bien d’autres idées reçues à propos de la population. L’une d’entre elles porte sur le nombre d’enfants nécessaires pour assurer la pérennité d’une population. Un autre préjugé concerne la proportion de femmes au Québec.

En fin de compte, nous vous proposons la liste de lieux communs suivante, sur laquelle nous vous demanderons de vous prononcer :

  • 1. On compte 5 femmes pour un homme dans certaines villes ou régions.
  • 2. Il faut 2,1 enfants par couple (en non 2 tout juste) pour assurer le renouvellement des générations.
  • 3. Le Québec compte 52 % de femmes.

Deux de ces trois lieux communs relèvent tout simplement du mythe. Nous mettons le lecteur au défi de trouver lesquels. Attention, il ne s’agit pas ici de se disputer sur les chiffres précis, mais de juger du bien-fondé général de ces lieux communs.

Plus de femmes mariées que d’hommes mariés?

Le tableau D4.1 (ci-après) donne une vue d’ensemble de l’état civil des hommes et des femmes âgées de 15 à 34 ans au Canada. Nous nous sommes basés sur deux recensements espacés d’une vingtaine d’années, afin d’observer l’évolution d’une génération à l’autre.

Examinons d’abord les données de 1991 (nous vous laisserons le soin de refaire le même exercice pour 2011). On remarque d’emblée, dans le tableau, que le nombre d’hommes est sensiblement égal au nombre de femmes, avec un léger avantage pour les hommes dans le groupe des 15 à 24 ans : il s’agit là d’une situation tout à fait typique pour l’espèce Homo sapiens.

Si on y regarde de plus près, on note que les célibataires de ce groupe d’âge sont surtout des hommes et que les personnes mariées sont surtout des femmes. Étant donné que les mariages se font, en 1991, exclusivement entre deux personnes du sexe opposé, le fait peut sembler curieux à première vue.

Les femmes se marient-elles plus jeunes que les hommes? Les femmes se marient-elles avec des hommes plus vieux qu’elles?

Réglons d’abord le cas des hommes de 15 à 24 ans (pour l’année 1991) : si les hommes célibataires cherchaient à se marier exclusivement avec des femmes de leur groupe d’âge, 250 000 d’entre eux ne pourraient trouver de partenaire (soit 1 750 000 – 1 500 000). On est loin de la croyance populaire voulant qu’il existe 5 femmes pour un homme. Apparemment, les hommes sont moins pressés de se marier que les femmes, du moins à cet âge-là. Le même phénomène peut être constaté chez les hommes de 25 à 34 ans, même s’il commence à être temps pour eux de penser au mariage : le « déficit » s’élève alors à 271 000 (soit 840 000 – 559 000).

Si on considère l’ensemble des hommes célibataires de 15 à 34 ans, il leur manque plus d’un demi-million de partenaires. Certes, il y a plus d’hommes que de femmes dans ce groupe d’âge, soit 31 000 hommes de plus que de femmes entre 15 et 34 ans (vous pouvez vérifier dans le tableau D4.1), mais cet écart est somme toute très minime. Il ne reste plus qu’une explication : en admettant que peu d’hommes soient mariés avec des femmes plus vieilles qu’eux, on peut déduire qu’environ un quart des femmes de 15 à 34 ans sont mariées avec des hommes de 35 ans et plus. Qu’en pensez-vous?

Cela dit, est-il plus facile de se trouver un partenaire pour un homme que pour une femme, comme le veut la croyance populaire? Rien, après examen de ces chiffres, ne nous permet de l’affirmer, du moins à l’échelle nationale. On peut en effet déduire du tableau D4.1 qu’il y a, en 2011, au Canada, 98,1 femmes pour 100 hommes dans le groupe des 14 à 35 ans (soit 4601/4690).

Nous avons pu constater, en épluchant les données détaillées du recensement, que la tendance est sensiblement la même à l’échelle régionale pour ce groupe d’âge. On retrouve, par exemple, 96,3 femmes pour 100 hommes à Québec, 99,1 à Montréal et 101,1 à Ottawa. On est loin du ratio de cinq femmes pour un homme!

Les autres types de famille

Pour se marier, il faut être deux, mais pour vivre à deux il n’est pas indispensable de se marier. Les tableaux D4.2 et D4.3 ci-après montrent que la proportion d’unions libres est en augmentation constante dans l’ensemble du Canada, et plus particulièrement au Québec. Par contre, la proportion de familles monoparentales s’est mise à redescendre après 1991.

Le mariage entre conjoints de même sexe a été inauguré en 2005 au Canada. Lors du recensement de 2011, une proportion de 0,35 % des couples mariés était constituée de conjoints de même sexe (0,37 % pour les hommes et 0,33 % pour les femmes). La proportion correspondante est un peu plus élevée en ce qui concerne les unions libres, où elle atteint 2,8 % (3,0 % pour les hommes et 2,6 % pour les femmes). (Source : Recensement du Canada 2011. Notez bien que ces pourcentages constituent des stocks (nombre de couples à telle date), et non des flux (nombre d’unions célébrées pendant l’année).

Les familles canadiennes tendent à compter de moins en moins d’enfants.

On dit parfois que les écoles seraient plus faciles à administrer s’il n’y avait pas d’élèves : les gestionnaires pourraient vaquer à leurs occupations sans être constamment dérangés. Dans le même ordre d’idée, les parents n’auraient-ils pas la tâche plus facile s’ils cessaient d’avoir des enfants? Le tableau D4.4 montre qu’on se dirige peut-être dans la bonne direction, puisque le nombre moyen d’enfants par femme est inférieur à 2 au Québec et au Canada.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les femmes devraient avoir « un peu plus » de 2 enfants pour que la population se maintienne à un niveau stationnaire?

La chose est véridique, pour assurer le renouvellement de la population, un couple devrait avoir plus de 2 enfants (un garçon, une fille et des poussières?). On dit souvent que cela est dû au fait que certaines personnes sont stériles ou passent leur vie dans un monastère, quand on ne donne pas des explications encore plus farfelues. Examinons plutôt le problème de façon logique : pour perpétuer l’espèce, il suffirait que chaque femme donne naissance en moyenne à une fille, ni plus ni moins. Étant donné que la proportion de bébés garçons est légèrement supérieure à celle de bébés filles et que certaines femmes meurent avant d’atteindre leur maturité, un nombre moyen de 2 enfants par femme en âge de procréer serait insuffisant pour atteindre cet objectif.

Je t’épouse… un peu, beaucoup, souvent

La plupart des jeunes mariés se recrutent parmi les célibataires. Cependant, au fil des ans, la proportion de mariages dans lequel l’un ou l’autre des partenaires a déjà convolé auparavant tend à augmenter. C’est ce qu’indique le tableau D4.5. On y constate que si le nombre total de mariages a diminué en 20 ans, le nombre de remariages a augmenté. Seriez-vous capable, en observant le tableau, de déterminer le nombre de mariages impliquant un homme jamais marié et une femme ayant déjà été mariée au moins une fois?

Après avoir nous-mêmes longtemps réfléchi à la question, nous nous sommes rendu compte que les cinq lignes du tableau 5 cachaient en réalité quatre catégories exclusives : [homme jamais marié + femme jamais mariée], [homme déjà marié + femme jamais mariée], [homme jamais marié + femme déjà mariée], [homme déjà marié + femme déjà mariée]. En partant de cette constatation, nous avons construit le tableau D4.6 qui contient (en dehors des totaux) 2 colonnes et 2 lignes. Nous avons inscrit dans ce tableau les données que nous connaissions déjà grâce au tableau D4.5 (en caractères gras). Il a suffi ensuite de boucher les trous à l’aide de simples soustractions.

La statistique quasi officielle voulant que le Québec compte 52 % de femmes relève-t-elle du mythe ou de la réalité?

Pour les gens « bien informés », il va de soi qu’au Québec, et probablement dans la plupart des pays normaux, les femmes constituent la majorité de la population. Il existe même un chiffre quasi officiel, que la presque totalité des personnes théoriquement éclairées sur la question vous confirmera d’emblée : le Québec compte 52 % de femmes. Cette donnée a, par exemple, été mise de l’avant lors d’une émission à Radio-Canada (23 mars 2007) par Gabriel Chèvrefils, représentant de Québec solidaire, « le seul parti à présenter 52 % de candidates aux élections ». C’est déjà plus qu’une statistique, c’est un véritable programme politique. Or, il se trouve que cette proportion n’a jamais dépassé 50,8 % depuis un siècle, comme en peut le constater en examinant la figure D4.1.


Les femmes ont même déjà été « minoritaires » au Québec, du moins jusqu’en 1963. De fait, il naît plus d’hommes que de femmes chez l’Homo sapiens (environ 105 contre 100), et les femelles de l’espèce vivent plus longtemps que les mâles. La proportion de femmes s’est accrue au Québec jusqu’en 1997, où elle a atteint 50,76 %. Par la suite, la réduction de l’écart entre l’espérance de vie des hommes et des femmes a entraîné un retournement de tendance (la proportion de femmes était tombée à 50,33 % en 2013).

Notre propos n’est pas ici de minimiser l’importance des femmes dans la population. De toute façon, les différences sont si minces que l’on peut considérer, au bout du compte, que les deux sexes sont à égalité. C’est plutôt le chiffre magique de 52 % qui nous intéresse en tant que phénomène psychologique, social et politique. D’où sort ce fameux chiffre? Quel rôle joue-t-il? Comment se fait-il qu’il fasse l’objet d’une telle unanimité tout en ne reposant sur aucune réalité?

Pour examiner la situation sous un autre angle, nous vous proposons, dans la figure D4.2, une façon originale de représenter la pyramide des âges. On y retrouve les fréquences cumulées de chaque groupe d’âge. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y a, au Québec, autant d’hommes que de femmes dans le groupe d’âge constitué des 84 ans et moins (3,998 millions d’hommes et 3,988 millions de femmes en 2013, pour être plus précis). Ce n’est qu’en comptant les personnes âgées de 85 ans et plus que la proportion de femmes dépasse celle des hommes.


Pour schématiser la chose, on pourrait diviser la population du Québec en trois groupes : les enfants (0 à 19 ans), les personnes d’âge moyen (20 à 64 ans) et les personnes âgées (65 ans et plus). En 2013 (année correspondant aux données de la figure D4.2), les hommes sont légèrement majoritaires dans les deux premiers groupes (respectivement 51,0 % et 50,6 %), et sensiblement minoritaires dans le troisième (44,3 %).

 

QUESTIONS

1. Les jeunes célibataires (tableau D4.1, année 1991)

a) Quelle est la proportion de femmes mariées parmi les 15 à 24 ans?

b) Quelle est la proportion d’hommes mariés parmi les 15 à 24 ans?

c) Quelle est la proportion de femmes parmi les personnes de 15 à 24 ans qui sont mariées?

d) Quelle est la proportion d’hommes parmi les personnes de 15 à 24 ans qui sont mariées?

e) Quelle est la proportion d’hommes parmi les 15 à 24 ans?

f) Quel est le ratio de masculinité (rapport homme/femme) parmi les 15 à 24 ans?

2. Les concubins (tableau D4.2)

Tracez un graphe illustrant l’évolution du taux de prévalence des unions libres entre 1981 et 2011 (tracez sur le même graphe quatre courbes représentant les quatre provinces).

3. Deux enfants et quelques (tableau D4.4)

Comment expliquez-vous que la moyenne canadienne soit de 1,82 enfant par femme en 1990 alors que toutes les données citées sont inférieures ou égales à ce chiffre?

4. Mariés et remariés (tableaux D4.5 et D4.6)

a) Calculez le taux de croissance du nombre de mariages entre 1971 et 1991.

b) Quel est, en 1971, le nombre de mariages impliquant deux partenaires jamais mariés auparavant (si nécessaire, construisez un tableau similaire au tableau D4.6)?