Les vieilles routes commerciales


 

Après son indépendance, en 1991, la Lituanie, qui était en quête de devises étrangères pour financer ses importations, a tenté de développer son industrie touristique. Pour cela, elle a remis à la mode une activité très prisée dans l’Antiquité : la cueillette de l’ambre sur les plages de la mer Baltique. Cette résine fossile de couleur dorée était déjà utilisée en bijouterie plusieurs siècles avant notre ère. À l’époque des Romains, une « route de l’ambre » traversait toute l’Europe centrale, de la Baltique jusqu’à l’Adriatique, dans la région de l’actuelle Venise. Il fallait pourtant franchir le territoire de plusieurs peuples, parfois en guerre, et les chemins ne ressemblaient en rien aux autoroutes actuelles. Malgré les obstacles, ce commerce était florissant, parce que l’ambre se vendait presque à prix d’or à Rome, tandis que sur la Baltique il suffisait pour ainsi dire de se baisser pour le ramasser. Dans les trois cas historiques suivants, les écarts de prix relatifs avaient des chances d’être particulièrement élevés et de stimuler un courant d’échange très puissant.

Quel est le lien entre la soie vendue par les Chinois aux Romains, le poivre acheté par les Européens au Moyen Âge et le caoutchouc vendu par les Brésiliens au XIXe siècle? Eh bien, il se trouve que les trois produits firent l’objet d’un monopole. L’hévéa, ou arbre à caoutchouc, vient d’Amazonie, le poivre, des Indes orientales et le ver à soie, de Chine. Tous trois étaient au départ inconnus en dehors de leur patrie d’origine. L’exportation de graines d’hévéa était interdite par le gouvernement brésilien. La divulgation du secret de la soie était punie de mort dans l’ancienne Chine, et la culture du poivrier s’accommodait mal du climat froid de l’Europe (sans compter que les graines se gâtaient pendant le long voyage). La « route de la soie » et la « route des épices » ont joué un rôle primordial dans l’histoire. Quant au monopole brésilien du caoutchouc, il a fait la prospérité et la splendeur de Manaus, la capitale actuelle de l’État brésilien d’Amazonas.

Ces monopoles finirent cependant par disparaître. Après avoir vainement tenté d’importer des vers à soie vivants, les Byzantins réussirent à ramener des œufs (cachés dans une canne, selon l’écrivain grec Procope), vers le VIe siècle. Mille ans plus tard, les Portugais, non contents d’établir des comptoirs à travers l’Asie méridionale, transplantèrent des poivriers dans les régions chaudes de leur nouvelle colonie du Brésil. Enfin, des graines d’hévéa furent subtilisées aux Brésiliens par un planteur britannique. L’hévéa fit alors la fortune de Ceylan (l’actuel Sri Lanka), puis de divers pays du Sud-Est asiatique. Dès 1914, soit 38 ans après le vol des graines, la production du caoutchouc de plantation dépassait celle du caoutchouc amazonien, causant du même coup la ruine de Manaus. Notre voleur de graines d’hévéa avait sûrement lu Procope, comme quoi la culture générale peut parfois être très payante! Ces cas extrêmes ne doivent pas faire oublier qu’il suffit parfois de faibles écarts de prix relatifs ou de légères différences entre les produits pour susciter le commerce international.

 

© Supplément à Relations économiques internationales, 4e édition, Renaud Bouret, Éditions Chenelière Éducation, Montréal